Camisole-moi
Le titre en combinaison avec le mannequin sans bras sur la couverture ne laissent aucun doute : le rapport de force est déjà instauré, la camisole, un vêtement qui, par métaphore, est ce qui ligote, ce qui contraint.
Entre l’Auteur Tardif de Quarante-Huit Ans (AT48) et la Femme Éditrice de Cinquante-Huit Ans (FE58), le rapport de force est de mise avant même qu’elles ne se rencontrent. L’une écrit, l’autre publie. Ou pas.
FE58 songe soudain à l’histoire de cette comédienne et de ce chanteur qui se sont aimés et abîmés ensemble, la première étant morte. FE58 aimerait recevoir un manuscrit sur le sujet (p. 33).
On pourrait se demander ce que vient faire ce fait-divers dans le roman – fait-divers qui revient à plusieurs reprises – d’autant plus que le couple auquel le lecteur pense immédiatement n’est jamais explicitement nommé.
FE58 se sent étrangement de plus en plus proche du chanteur qui a cogné sur la comédienne et l’a tuée (p. 59).
Peut-être le lecteur trouve-t-il un semblant de réponse à la fin du roman, fin que nous ne dévoilerons pas ici, mais qui amène le lecteur à se poser la question d’amour.
S’agit-il réellement d’amour ? (p. 122).
AT48 voue un véritable culte à son éditrice. Le terme « culte » se justifie aisément par les nombreuses références à la foi chrétienne : cathédrale, diocèse, Dieu, Jesus, Marie-Madeleine, Esprit, religieuses… D’ailleurs, le roman s’ouvre sur une citation de Jincy Willett à propos du choix des religieuses :
« -Vous pensez que les religieuses et les vieilles filles ont toutes des troubles hormonaux ? Êtes-vous incapable d’imaginer un seul moment que, pour certaines d’entre nous au moins, nous avons conscience de ce que nous ratons ? Et que nous signons au bas de la page en étant pleinement informées de nos droits, que nous signons joyeusement et que nous considérons avoir conclu la meilleure affaire ? »
AT48 fait le choix de se soumettre à FE58 et ne vit que pour elle :
Mon corps fait des siennes. Ma tête a accepté ton joug et s’en nourrit, cependant le corps, lui, manifeste sa désapprobation. Il se fait animal, ou plante. Il rugit et se fane (p. 18-19).
Mais s’agit-il vraiment d’un choix ? Il est question de « joug » et, plus loin, beaucoup plus loin, le terme « emprise » vient confirmer, renchérir, le rapport de domination (p. 47 et p. 121). Le rapport de force va au-delà de celui entre le maître et son esclave, qui, lui, reste maître de ses pensées et de ses émotions. Non, le rapport instauré entre les lignes est bien celui du Créateur sur sa créature, ou « objet », un terme qui revient aussi régulièrement :
Tellement tu pourrais me modeler, me métamorphoser, me façonner miniature, me faire boule, me tailler allumette, me broyer poussière, m’assembler, me désassembler, m’éparpiller, m’avoir sous tes talons, rouler sur moi sans y prendre garde (p. 8).
La créature aime son créateur. Elle est prête à tout pour le satisfaire :
J’aurais voulu que tu me donnes un ordre à respecter sur-le-champ : « Viens à Paris immédiatement » – et je serais venue. Ou : « Enferme-toi dans la cave toute la nuit » – et je l’aurais fait. Tout, même me jeter par la fenêtre, n’importe quelle directive venant de toi, je l’aurais exécutée (p. 48).
Une dernière citation, juste pour le plaisir :
Quelquefois tu lâches une gourmandise. Tu écris : « Je t’embrasse », et alors là, c’est le festin. Le pain, je le romps, la mie, je la dévore, la viande, je m’en gave. Le lendemain, j’ai pris cinq cents grammes – le poids de ton affection contenue dans ces mots : « Je t’embrasse ». Soudain j’existe (p. 19).
Et si, derrière le simple impératif (ou la prière ?) « camisole-moi » se cacherait une autre prière, celle d’être protégé (de soi-même) ?
Martine Roffinella, Camisole-moi, Éditions François Bourin, 2018.