Sous la ville rouge
Marseille d’aujourd’hui. La ville, “en cette fin d’été, sentait l’urine, le gaz d’échappement et l’inquiétude” (p. 15). Le personnage principal tarde à venir. L’esquisse est flou, à l’image de son caractère d’inexistant. On ne sait rien de lui, si ce n’est qu’il s’agit d’un homme reclus, solitaire, qui habite un petit appartement rue Barthélemy, où il passe des nuits entières à écrire “dans cette cuisine aussi étroite qu’un couloir” (p. 27). Charlie Hasard, effacé, “invisible” (p. 40), se sent vivant que lorsqu’il écrit. Et sur le ring dans la salle de boxe, “[l]e seul endroit de la ville qu’il retrouvait avec plaisir” (p. 30), où “la haine dure trois minutes” (p. 43).
Charlie Hasard cherchait inlassablement quelque chose qui était dans sa tête. Dans un coin de sa tête, il y avait un rêve. Dans un coin de ce rêve, il y avait un jardin, une ville, un visage qu’il n’avait jamais vus et qu’il voulait connaître. Il poussait des mots comme on ouvre des portes. Il cherchait, cherchait. A la pointe de son stylo il sculptait le vent (p. 63).
Mais le monde de l’édition lui reste hermétiquement fermé. Il essuie lettre après lettre de refus, son manuscrit lui est retourné, toujours avec les mêmes formules de politesse. L’humiliation qu’il éprouve, cette honte qui le ronge quand il pense à tous les sacrifices qu’il a faits, pour rien, dans le vide, sans pouvoir rendre fière sa mère, déjà morte, prend de plus en plus d’ampleur jusqu’à lui faire commettre l’irréparable.
Il commença à espérer la prison. A être moins inquiet en pensant à ses couloirs, à son silence. Une citée fermée où il serait comme tout le monde, normal, au milieu de gens qui lui ressemblaient. Un parmi tant d’autres qui avaient détruit, volé, ou fait couler le sang. Coupable au milieu des coupables, criminel parmi les criminels. Un homme quelconque, voilà ce que Charlie voulait redevenir (p. 103).
Mais, contre toute attente, son salut se trouve ailleurs. Un jour, dans la ville de sa mère, Charlie Hasard se met à parler tout haut, il confesse à sa mère morte, au vent, aux passants, mais “[p]ersonne n’aurait pu dire s’il pleurait ou riait aux éclats” (p. 112). Il retrouve l’empreinte de son enfance bercée par cette mère douce et bienveillante, auprès de qui il pouvait toujours attendre consolation, affection, amour :
Les épaules de Charlie sautaient. Il était trempé mais sa mère l’avait pris dans ses bras et il n’avait plus froid sur cette pierre. Il sentait toute la douceur de sa mère traverser son corps. Comme lorsqu’il était enfant, qu’il grimpait sur ses genoux le soir, collait son ventre contre le ventre de sa mère et sentait battre la vie, la tendresse, la force. Ce ventre si plein d’amour (p. 113).
René Frégni, Sous la ville rouge, 2013.