Témoignage

Une terrible épreuve

Perdre un enfant, le pire cauchemar pour un parent ! Un enfant ne devrait pas mourir avant ses parents et encore moins mourir avant même de naître. Et pourtant, chaque année, cette terrible épreuve frappe quelques milliers de familles. C’est le ventre vide, les bras vides, parfois les seins gonflés d’un lait qui ne sera jamais bu, que ces mères et pères doivent rentrer à la maison. Sans le(s) bébé(s) attendu(s).

Thomas, du haut de ses six ans, en sait quelque chose : « Maman, ce n’est pas parce que tu es enceinte que tu vas avoir un bébé » (p. 19). Cela fait déjà deux fois qu’il attend un petit frère ou une petite sœur. Pour cette troisième fois, quoi qu’il arrive, « ce bébé, mort ou vivant », il veut le voir !

Dans ce témoignage bouleversant, Sophie Helmlinger fait part de sa traversée du deuil ainsi que de celle de son mari et de leur aîné Thomas. Parents de six enfants, seuls trois ont vu le jour, les trois autres de leurs tout-petits – Rachel, Paul et Joseph – les ont quittés beaucoup trop tôt, avant d’avoir pu combler les leurs de leurs premiers cris, de leurs regards d’étonnement, de leurs soupirs de satisfaction après avoir bu tout leur saoul.

Comment le dire à la famille, aux amis, à la communauté ? Comment l’annonce sera-t-elle accueillie ? Comment continuer à continuer quand la vie nous a dérobé le présent le plus précieux ? Quand l’avenir que nous avions imaginé et porté dans le creux de notre ventre se heurte à un berceau vide ? Comment faire cette traversée de deuil ?

J’ai fini par choisir mon camp sans le vouloir vraiment : ce tout petit bébé nous avait quittés brutalement, sans bruit, comme un voleur, j’ai vécu le deuil de cette enfant dans la même dynamique, surtout ne pas déranger, se taire, calquer ma peine sur le silence et le tabou qui régnaient autour de moi (p. 35).

Prise de panique lorsque le cauchemar se répète, l’auteur de ce témoignage touche la folie du bout des doigts :

Je supplie Dieu de me garder ce petit, désespérée. Je ne comprends pas pourquoi j’ai à vivre tout cela. Comment vais-je traverser une nouvelle fois ce cauchemar ? J’ai peur de devenir folle ! Non ! J’ai envie de devenir folle, de perdre contact avec la réalité pour m’extraire de ce mauvais rêve (p. 59).

Oui, elle prie Dieu. Mais quand, par maladresse, la sage-femme lui dit que la foi a dû l’aider lorsqu’elle avait perdu Rachel et Paul, c’est sans savoir qu’elle vient d’ouvrir une boîte de Pandore :

Comment quelqu’un pourrait-il comprendre à quel point j’étais envahie, engluée par la colère, ne sachant qu’en faire ? Pourquoi ? Pourquoi ces deux bébés morts ? Pourquoi Dieu n’était-il pas intervenu, dans Sa grande puissance ? Pourquoi avait-Il permis tout cela ? N’avions-nous pas assez prié ? Devais-je payer pour quelque faute ? (p. 77)

Entre la colère et le sentiment de culpabilité, que faire, comment avancer ? Les parents devront tricoter et détricoter avec leurs absents, inventer des projets de vie même quand elle ne tient plus à son fil, sortir des chemins battus pour accueillir, l’un après l’autre, ces trois tout-petits dans l’arbre généalogique et dans leur vie.

[Mais] après ? Après la mort, que se passe-t-il ? Que se passe-t-il une fois que tout est fini ? (p. 101)

Plus qu’un témoignage sur l’épreuve du deuil périnatal, ce livre est une ode à la vie. La Vie avec un V majuscule, comme le Verbe. « La vie qui reprenait tout simplement son cours » (p. 101) :

C’est la magie de la Vie de ne pas s’arrêter malgré les vallées de l’ombre de la mort que nous parcourons, elle continue son petit bonhomme de chemin, c’est plus fort qu’elle. Elle ne se laisse pas impressionner, elle tricote avec la mort : si la mort décompose la vie, la Vie compose avec la mort. C’est à nous de bricoler avec, sont ainsi faits : une succession de mailles, les unes à l’envers, les autres à l’endroit (p. 102).

Sophie Helmlinger pose des mots justes sur sa traversée du deuil périnatal, des deuils périnataux, pour voir plus loin, pour continuer à avancer même quand le chemin se dérobe, pour ouvrir des possibles et proposer des gestes à l’attention de ces parents privés de la présence de leur(s) tout(s)-petit(s). Son voyage invite à s’approprier l’absence, à prononcer le nom de nos absents, à être présents. Et à être parents.

Sophie Helmlinger, Une terrible épreuve. Ma traversée du deuil périnatal, Éditions Empreinte, 2014.